Catégories de pains
L’extraordinaire variété des pains produits depuis la nuit des temps par les femmes puis par les hommes, défie l’imagination. Comment peut-on, à partir d’un simple mélange de blé, voire d’une autre céréale, d’eau, d’air et d’une énergie manuelle ou mécanique, inventer cette gamme presque infinie de pains quotidiens, chacun portant un nom différent et répondant à des exigences de réalisations précises transmises de génération en génération, au sein des villages, des familles, des fournils ?
C’est un peu comme de combiner les 26 lettres de l’alphabet pour composer tous les textes du monde. Sauf que nous n’avons ici que trois ou quatre lettres pour imaginer la farandole de tous les pains jamais conçus. Quel talent !
Comment nous repérer alors à travers ce foisonnement ?
Considérons tout d’abord que les farines utilisées, dites « panifiables », sont en nombre limité. Elles sont issues de céréales appartenant à la famille botanique des graminées (ou poacées), porteuses de grains dont la propriété est de contenir des protéines insolubles (gliadine et gluténine) qui vont former, une fois hydratées, le réseau glutineux et permettre le développement des pâtons.
Ces céréales aptes au service sont le blé, sous ses différentes formes (blé tendre ou froment, épeautre, engrain ou petit épeautre, kamut, blé dur), et le seigle. A ces céréales « panifiables », les différentes pratiques de panification associent des céréales ne contenant pas ou très peu de gluten (protéines), en fonction des besoins et des disponibilités agricoles, comme l’avoine, le maïs, le millet, le sarrasin (le « blé noir »), l’orge, le riz, le sorgho, le teff – mais également certaines graines issues d’autres familles botaniques comme le quinoa, le sésame, l’amarante, etc. ; les racines de certains arbres, comme le manioc, les tubercules comme l’igname, la pomme de terre, etc. Les pains que nous retenons dans ce tour du monde sont donc issus de ces différents apports, et souvent de leur mélange inventif.
Le critère « panifiable » doit donc être étendu bien au-delà de ces farines qui permettent de constituer des pâtes puissamment structurées, dites « alvéolées ». L’usage de farine « panifiable » ne signifie d’ailleurs pas qu’on disposera au final d’un pain « levé ». Tout dépend ici de la manière dont le « rituel » de la fermentation est mené. On ne laissera peut-être pas à une pâte ensemencée au levain ou à la levure le temps de se développer avant de la poser sur la plaque chauffante ou de la coller contre les parois du tannur. Ainsi nous faut-il accueillir tout ce que les mots et expressions comme « pain non levé », « galette », « feuille de pain », peuvent recouvrir.
Enfin, et pour en venir au mode de cuisson, il nous faut faire preuve là encore de souplesse et considérer que des pains qui ne sortent pas du four mais sont cuits sur plaque chauffante, sous la cendre, voire le sable chaud, qui sont frits ou pochés dans l’eau, méritent encore notre considération.
Une fois ces précisions apportées, voici dix familles à l’intérieur desquelles il est possible de répartir tous les pains du monde. Cette classification s’inspire de celle qu’Hubert Chiron a proposée dans le Dictionnaire universel du pain (Bouquins, Laffont 2010).
Les feuilles de pain
Ces abaisses de pâte ultra-fines se retrouvent sous forme de feuilles de riz en Asie, de feuilles de brick dans le monde arabo-musulman, de fines galettes de sarrasin, comme en Bretagne, de papier azyme, de papier hostie, comme celui qui enrobe le nougat.
les Pains garnis ou fourrés
Certaines préparations qui sont les vedettes de la restauration rapide sont à base de pâte à pain, comme la pizza, le manakich libanais ou jordanien, les pissaladières provençales. Certains pains s’offrent, dans le même esprit, à être fourrés, comme le baozi chinois, le pide turc, le roll américain, etc.
Les pains levés à croûte
La baguette et plus généralement les pains de France sont ceux qui viennent d’abord à l’esprit lorsqu’il s’agit d’illustrer le terme « croustillant ». Certains pains italiens, espagnols, grecs, turcs entrent aussi dans cette famille.
Les pains secs
La tradition semble en incomber aux cultures du nord de l’Europe et peut-être à la Suède avec le knäckebrod ou pain craquant, dont les petits pains suédois trouvés dans le commerce, sont les avatars contemporains. Les pains « cuits deux fois » se retrouvent encore dans de nombreuses régions, comme le carasau sarde ou l’eptazymo grec.
Les pains noirs
Pains confectionnés généralement à partir de farine de seigle. On les trouve dans des régions où le blé a du mal à s’acclimater, en Europe du nord et centrale. Peu pétris, ils sont ensemencés au levain et ont un temps de cuisson très long (souvent en moule).
Les pains qui ne sont pas faits à partir de céréales
La cassave d’Amérique latine ou le pain du bush confectionné depuis la nuit des temps par les Aborigènes permettent d’élargir encore la famille des pains de nouveaux entrants parfaitement exotiques mais aujourd’hui très prisés.
Les pains qui ne sont pas cuits au four
Lorsque le combustible est rare, lorsque le four ne fait pas partie du paysage domestique, on a recourt à différentes formes de cuisson très inventives. La plaque chauffante, posée sur une source de chaleur, est une pratique universelle. Il est possible aussi de faire frire des galettes d’orge, de sorgho ou de millet telles qu’on en trouve en Afrique et en Asie centrale. On peut aussi faire cuire à la vapeur de petits pains ronds ensemencés au levain ou à la levure très appréciés en Chine et au Vietnam (mantou ou baozi) ou au Ladakh et au Tibet (dimo ou trimo). Ils peuvent être fourrés à la viande, aux légumes, aux légumes et à la viande, à la pâte de haricots rouges, etc.
Les pains de mie, les pains viennois, les boules de pâte
Ils marquent à eux seuls une réalité gastronomique culturelle particulière : si les pains croustillants renvoient à l’aire méditerranéenne, les pains de mie, autrement dit sans croûte, confectionnés à partir d’une pâte enrichie en matière grasse et en sucre et cuits généralement en moules ouverts ou fermés, appartiennent résolument au monde anglo-saxon, même si on peut trouver leur équivalent en Europe et en Russie. Il convient d’ajouter ici ces « pains » préparés à partir de céréales non panifiables (riz, mil, etc) et présentés sous forme de boules de pâtes molles.
Les pains plats
On les trouve sur le pourtour méditerranéen, en Asie centrale et en Amérique latine. Ils sont cuits sur plaque ou dans ces fours en forme de jarre ouverte en haut et en bas, en usage au Moyen-Orient et en Inde et qu’on appelle en arabe al-tannur (qui a donné le mot « athanor », qui renvoie à l’univers des alchimistes). Saisis à très haute température, ces pains ont la particularité de former une poche ou ballon qui va s’affaisser après cuisson. Ils sont généralement fourrés, à moins qu’on ne les déchire et qu’on ne s’en serve pour saisir d’autres aliments.
Les pains rituels
La boulangerie se met parfois en quatre pour accompagner certains événements liés au calendrier religieux ou folklorique. En la circonstance, la pâte s’enrichit de matières grasses, de sucre comme c’est le cas pour les pains briochés (kougelhopf, panettone, mouna, cougnou, etc.), les pains aux allures de cake (barmbrack irlandais, conçu à l’époque d’Halloween), ou encore les pains-gâteaux (t’anta wawas fabriqués au Pérou pour le jour de la Toussaint et le jour des morts).